LE BON DÎNER DE L'ARCHEVÊQUE
Il y a quelques années, en fouillant dans un dossier des archives départementales du Jura, à ma grande surprise, au milieu des vieux feuillets, j'ai trouvé la facture adressée par un traiteur aux chanoines de Dole qui venaient de régaler d'excellente manière, lors de son passage, Monseigneur l'archevêque de Besançon.
Le 9 juin 1756, les chanoines du chapitre de Notre-Dame de Dole, après avoir offert à l'archevêque de Besançon, Antoine Clériade de Choiseul, un vin d'honneur, ont donc reçu leur hôte avec magnificence. Le repas avait été préparé, livré et dressé par un traiteur. Quant aux desserts, confitures, glaces, et fruits, ils avaient été fournis par la veuve Senard, confiseur.
Lisons le menu porté sur la facture :
« Au premier service, on a offert à Monseigneur : trois potages, un bisque d'écrevisse, un à la reine, un de santé, un à la purée verte, une julienne.
Les ordoeuvres sont deux plats d’œufs frais, deux d'oseille, deux l'un au blanc, l'autre au roux, petites raves et beurre frais, un de grenouilles à la poulette, une grosse tanche à la polonaise, une truitte avec ombre grillé, une anguille en serpentin avec son saucier, en tronçons de même, perche avec son écaille grillé, filet de brochet à la béchamel, filet de brochet avec sauce, deux plats d'une grosse truitte coupé par tronçons marinée à l'huile avec sa sauce grillée au cittrons, un pâté chaud d'anguilles, une tourte de laittance de carpes, une matelotte de carpe et l'anguille pour le milieu garnie, une grosse truitte piquée d'anchoye à la broche au citron dans un bout, une grosse carpe du Doux (sic) avec coulis d'écrevisse.
Au deuxième service:
« Saumon frais, une grosse truitte, une autre grosse truitte, un plat de lotte fritte, une friture de perche et de filets de brochets, un gateau de mille feuilles, un croquand armorié et monté, deux plats d'artichaux, petits pois vert, deux darioles en timbales, deux de crème, deux d'habesse, de maspin avec glaces verte et blanche (quatre plats), deux d'andouillette fritte, deux de cardons au fromages, deux d'épinard » (Archives départementales du Jura, G 167).
Le repas fut arrosé de quatorze bouteilles de Chambertin, trois bouteilles de vin d'Espagne, deux de muscat, vingt-huit pintes de vin du pays et de bière. Plus quelques bouteilles de liqueurs. Nous savons également que le saumon servi venait de Bâle via Belfort et Besançon... Exploit de transport en pleine saison chaude, car ce bon dîner avait lieu en juin. Les chanoines engagèrent dans ce repas, vin d'honneur compris, une véritable petite fortune, soit 459 livres. Cette somme représente 6 à 8 belles vaches!
La liste des mets est certes impressionnante, mais rassurons-nous, Monseigneur et les bons chanoines n'avaient pas l'obligation de tout manger. Dans ce service, à la française, chaque convive prenait à son goût et à sa faim. Au milieu de cette abondance offerte, chacun pouvait à sa convenance composer son menu particulier. Un temps où l'on savait vivre !